États Généraux de la formation des enseignants: les contributions...

La position de la Commission Française pour l'Enseignement des Mathématiques:


Les membres suivants de la CFEM ont participé à la rédaction du texte par l'intermédiaire de leurs représentants: ADIREM, APMEP, ARDM, CNFM, SMAI, SMF, UPS

La mastérisation et la formation des enseignants en mathématiques



Le gouvernement a décidé de modifier la procédure actuelle de recrutement des enseignants
du primaire et du secondaire, en posant comme pré-requis pour ce recrutement l'obtention d'un
master (plus précisément une deuxième année de master, c'est-à-dire bac+5) et en modifiant
fortement les conditions de formation professionnelle des enseignants.
Ce projet aura des conséquences profondes, tant sociales que pédagogiques, et la CFEM1 a
souhaité exprimer, sur un sujet d'une telle importance, sa position, ses questions et ses
inquiétudes.
La CFEM tient tout d'abord à souligner que l'objectif de toute réforme ne peut être que celui
d'améliorer la formation des enseignants dans toutes ses dimensions et, par là même, la qualité
de l'enseignement des mathématiques de la maternelle à l'Université.
Le texte qui suit concerne à la fois la formation des futurs professeurs des écoles et celle des
futurs professeurs de lycées et collèges. La formation scientifique des futurs professeurs des
écoles constitue notamment un enjeu essentiel.

1° L'état des lieux et le projet
À l'heure actuelle, les enseignants sont recrutés par concours, la licence (bac+3) est requise
pour passer le CAPES et le concours de professeurs des écoles, il faut un niveau bac+4 pour
passer l'agrégation. En cas de réussite au concours, les étudiants sont nommés fonctionnaires
stagiaires et suivent une année de formation rémunérée à l'IUFM. Pendant cette année, ils
effectuent un stage en responsabilité de huit heures par semaine pour les PLC (Professeurs de
lycée et collège) et d'une journée par semaine et deux périodes de trois semaines en continu
pour les PE (Professeurs des écoles). Au bout d'une année, ils sont titularisés si l'évaluation de
leur formation est positive.
Les trois premières années de la formation sont essentiellement disciplinaires. L'année de
préparation au concours est en grande partie disciplinaire et pour partie professionnelle. Pour
les PLC, elle ne comporte pas de contenus nouveaux sur le plan disciplinaire car le programme
du CAPES de mathématiques est en général couvert par le programme de Licence ; cependant
tous les praticiens s'accordent sur l'importance du retour sur leurs connaissances que réalisent
les étudiants lors de la préparation au concours. Pour les professeurs des écoles, du fait de la
polyvalence, le retour sur les savoirs est d'autant plus important qu'il comprend une part
nécessaire de consolidation dans certaines disciplines.
Ainsi, la formation des enseignants est déjà une formation en cinq ans même si elle
n'est pas validée par un titre universitaire.
Le projet présenté par le gouvernement consiste à rendre obligatoire l'obtention d'un master
pour être recruté. Les détails du projet sont encore flous, mais les grandes lignes en sont
connues au moins pour les étudiants qui se destinent à l'enseignement dès leur première année
de master. Dans ce cas, après avoir validé leur première année de master ils devront s'inscrire
en deuxième année de master pour s'inscrire au concours. L'écrit aura probablement lieu en
décembre ou janvier et l'oral en fin d'année scolaire (mai ou juin) ; le succès au concours ne
sera validé qu'en cas de réussite à la deuxième année de master. Dans ce cas, l'étudiant sera
nommé professeur stagiaire et exercera, dès la rentrée suivante, à temps complet. Dans
l'optique d'un recrutement au niveau master, la CFEM estime qu'un concours en fin de
première année de master, suivi par une validation de la formation de l'année suivante
par un M2, serait plus efficace à tous points de vue que la formule actuellement avancée.

2° La nature des masters
Que seront ces masters ? À l'heure actuelle, « les masters d'enseignement » n'existent pas et
l'on ne sait pas quelle forme ils prendront. Dans le cas des professeurs du secondaire, s'agit-il
de créer une « mention » ? Une « spécialité » ? Un « parcours » ? S'il est peu probable que soit
créée une mention « enseignement des mathématiques », de nombreux paramètres peuvent
entrer en compte dans le choix entre « spécialité » et « parcours » : par exemple les flux
d'étudiants attendus dans cette formation et dans l'ensemble des formations mathématiques, la
taille du département de mathématiques, etc. La structure de spécialité au sein d'un master de
mathématiques semble être un bon compromis car la souplesse inhérente aux « parcours »
risque de faire perdre la cohérence nécessaire à ce type de formation.
Comment s'équilibreront, dès la première année, les nécessaires formations disciplinaires et
professionnelles ? La CFEM demande que les masters d'enseignement préparent
réellement les étudiants à leur futur métier en combinant des enseignements
disciplinaires et une formation didactique et professionnelle soigneusement articulée avec
une pratique sur le terrain sous la forme de stages encadrés permettant une réelle
réflexion sur la pratique. Il est donc impératif de préciser les solutions qui seront proposées
pour assurer des stages à tous les étudiants, et la nature de ces stages. Dans le cas des
professeurs des écoles, il est indispensable que dès la première année, le contenu du master
soit centré sur l'enseignement des disciplines à l'école.
D'autres masters que les masters d'enseignement sont susceptibles de conduire aux
concours. La formation professionnelle se situant avant le concours, il est à craindre dans ce
cas que certains débutants se retrouvent devant des élèves sans avoir reçu la moindre
formation professionnelle.
Enfin, la CFEM s'interroge sur le devenir des étudiants qui ne seront pas reçus au concours,
pour les uns parce que bien qu'ayant réussi les épreuves du concours ils n'auront pas validé
leur master, pour les autres parce qu'admis au master ils auront échoué au concours. Si la
sélectivité des concours est maintenue, le nombre de ces étudiants risque d'être important.
Sont-ils destinés à former une « armée de réserve » de personnels précaires disponibles pour
des vacations temporaires ?

3° Formation professionnelle, stages
Il n'est pas envisageable que la formation professionnelle des futurs enseignants ne
commence qu'en deuxième année de master (et a fortiori à la sortie du master !). L'entrée sur
le terrain, comme l'entrée dans le métier, doit être progressive, quantitativement et
qualitativement. D'une observation du milieu scolaire en deuxième année de Licence à des
stages en responsabilité en master, la palette des modes de réflexion et de travail sur le métier
d'enseignant devra être largement déployée, tant du point de vue des modalités
d'accompagnement des stages et des dispositifs pédagogiques dans lesquels ils s'insèrent, que
du point de vue du volume horaire.
La formation professionnelle ne saurait se limiter à l'envoi des étudiants dans les classes, elle
doit s'articuler avec une réflexion didactique, pédagogique, disciplinaire et épistémologique
qui suppose des aller-retour réflexifs entre terrain et formation. Ces aller-retour doivent
pouvoir s'appuyer sur un large éventail d'intervenants : tuteurs accompagnant les étudiants
pendant leurs stages, formateurs disposant d'une double compétence (enseignement et
formation) et enseignants-chercheurs travaillant dans les secteurs de recherche en jeu, en
particulier ceux qui ont trait aux mathématiques, à leur enseignement et à leur histoire, à leur
didactique et à leur épistémologie.
Le fait que le travail des stagiaires sur le terrain soit accompagné par un enseignant plus
expérimenté est une composante de la réussite d'un stage mais ne saurait se substituer à une
formation professionnelle de qualité. Un bon professionnel sait faire, mais il ne dispose pas
forcément des outils théoriques ni du langage nécessaire pour analyser et justifier de bonnes
pratiques. Le principe du « compagnonnage » est très insuffisant car il réduit précisément la
formation professionnelle au seul accompagnement lors de la première année d'exercice. Il est
nécessaire de préciser dès aujourd'hui ce que l'on attend des « compagnons » qui auront la
lourde responsabilité d'aider les jeunes débutants dans le métier.

4° Discipline, culture scientifique, recherche
La formation disciplinaire des futurs enseignants doit insister sur une prise de recul et
une vision transversale des notions étudiées au cours de la scolarité (et notamment au
cours des trois années de licence pour les futurs enseignants du secondaire). Pour ces raisons,
le découpage de la formation en UE devra être fait en évitant l'émiettement du contenu
mathématique des enseignements.
Les enseignements disciplinaires ne pourront se limiter à des enseignements classiques de
master, ils devront aussi faciliter un travail spécifique de réorganisation des connaissances
acquises permettant de rendre plus dense et plus opérationnel le réseau des relations entre les
notions. Ce travail pourra passer en particulier par :
- la confrontation à des problèmes dans lesquels sont mobilisés plusieurs domaines
mathématiques ;
- la confrontation à des situations de recherche, des problèmes ouverts, des situations de
modélisation susceptibles, pour certaines, d'ouvrir la voie à des échanges
interdisciplinaires ;
- l'acquisition d'une culture mathématique solide et variée, adaptée au niveau
d'enseignement visé ;
- la réflexion sur les notions à enseigner et sur leur organisation, ce tant d'un point de vue
mathématique que didactique ou épistémologique.
Outre ces dimensions spécifiquement liées à la discipline, les aspects plus transversaux du
métier devront aussi être pris en charge dans des unités plus généralistes : psychologie,
sociologie, connaissance du système éducatif, dimensions génériques du métier, etc.

5° Les conséquences sociales prévisibles du projet
Une des conséquences de la mastérisation de la formation est le recul d'une année du
concours et l'entrée plus tardive dans un emploi rémunéré. Ce recul d'un an de la
rémunération devrait avoir des conséquences sociales profondes et accroître encore les
difficultés des étudiants de condition modeste à s'engager dans des études aussi longues
et aléatoires. Une façon efficace de lutter contre ces difficultés serait de reprendre la
proposition, faite par le président de la République lors de sa campagne présidentielle, d'une
bourse pour financer les études. Faute de ce type de mesure, les conséquences seront
inévitables sur la future composition sociale du corps des enseignants.

6° Les conséquences pédagogiques prévisibles du projet
La mise en place précipitée d'un projet aussi complexe va de fait désorganiser profondément
la formation avec le risque dans les cas extrêmes d'une disparition quasi-complète de la
formation pédagogique et professionnelle des enseignants. En conséquence, nous demandons
qu'un temps suffisant soit accordé à la réflexion et à la concertation entre les différents
acteurs sur la mise en place des nouveaux masters, la mise au point du nouveau concours
et l'organisation d'un schéma réaliste de stages.
Nous souhaitons également la définition d'un cadrage national des futurs masters
d'enseignement, intégrant notamment un cahier des charges pour la formation professionnelle.

7° L'incertitude sur l'avenir des concours
Plusieurs membres de la Commission ont fait savoir leur inquiétude sur l'avenir du
recrutement des enseignants ; ils craignent une suppression des concours, qui aurait des
conséquences très négatives. Les concours actuels donnent un statut pérenne aux
enseignants, leur disparition supprimerait toute garantie sérieuse et ouvrirait la porte à
un bouleversement complet de leur statut et de leurs conditions de travail. Elle
entraînerait probablement un recrutement local par établissement, avec une grande disparité de
niveau et une perte en termes d'équité de notre système d'enseignement.

8° La formation continue des enseignants : des oublis inquiétants
À l'heure de la mastérisation des formations d'enseignants, il semble inconcevable d'oublier
la formation des enseignants en exercice. Un grand chantier de réflexion doit être engagé
sur des sujets comme la formation continue, les promotions par concours interne, la
formation des acteurs de l'évolution du métier comme les animateurs IREM ou les
formateurs IUFM. Pour l'heure rien n'a été évoqué sur cette question dans les annonces de la
réforme.
La formation de tuteurs sur le terrain et de formateurs d'enseignants est cruciale. Elle
suppose la mise en place d'un parcours qualifiant spécifique qui pourrait prendre la forme de
master « formation », comme il en existe déjà : l'engagement dans un master « formation »
permettrait de certifier le recul théorique nécessaire aux professeurs de terrain intervenant dans
la formation des maîtres.
Il est surprenant de constater que rien n'est dit sur la place des concours internes dans la
nouvelle architecture. Ils représentent pourtant une voie de qualification importante et ils
doivent dès à présent permettre l'accès au niveau master pour garder la parité avec le
recrutement par voie externe.
D'autre part, parmi les enseignants en exercice les niveaux de formation initiale sont variés.
Il faut permettre à tous ceux qui le souhaitent d'obtenir une requalification au niveau master.
Cette requalification peut utiliser diverses voies : mise en place de Validation des Acquis de
l'Expérience, formation continue diplômante, facilitation par des congés formation de l'accès
à des Masters « formation » ou à des doctorats.
La mastérisation est ainsi l'occasion d'organiser à l'université une formation continue
consistante et motivante pour les enseignants en exercice. Cette formation continue permettrait
de tisser des liens solides entre la profession et les universités sur le modèle des IREM qui ont
bien sûr un rôle important à jouer dans ce processus. Elle offrirait aussi aux professeurs en
exercice et en particulier aux débutants des lieux de formation, de réflexion, de discussion à
l'écart de la hiérarchie. En retour, elle donnerait aux universités des lieux et des personnels
d'accueil pour leurs étudiants en stage ainsi que des ressources en professionnels avertis qui
puissent intervenir en formation initiale et participer aux recherches dans le domaine de
l'éducation.
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